Jour J. Ça y est c'est aujourd'hui que je quitte la France pour mon grand voyage au Maroc. J'ai préparé mes affaires : une grande valise et un sac avec des affaires d'été surtout et quelques fringues pour l'hiver. On ne sait jamais. Vraiment l'indispensable et non pas l'inutile. J'ai pris ma photo préférée de mes parents qui s'enlacent. L'un des seuls instants volés à mes parents montrant au grand jour leur amour. D'habitude ils sont très pudiques. C'est moi qui avais pris cette photo lors de leur 25 ème anniversaire de mariage. Un moment inoubliable avec un gâteau délicieux et toute la famille présente. Je prends bien sur les photos de mes frère et sœurs. Je pèse mes bagages sur une balance dans la salle de bain. Elle fait 26,3 kilos. Ca devrait aller. Je voulais me rendre à l'aéroport en navette. Mais ma famille et surtout mon père ont insisté pour qu'ils m'emmènent à l'aéroport. Ça m'aurait épargné cette petite nostalgie qui monte en moi car c'est la première fois que je quitte ma famille, pour plus....de trois jours. Mes trois d’absence c’était lorsque j'ai passé un week-end chez ma meilleure amie d'enfance Anne-Marie. Une amie que mes parents connaissent très bien. Mon père ne voulait jamais me laisser partir quelque part pour plus de 12 heures ! Il regardait trop la télévision et lisait trop la rubrique des faits divers dans les journaux. Il avait peur que je me fasse enlevée ou même violer.
Ce qui me gène le plus, ce jour là, le jour de mon départ c'est que mon père travaillait. D'ailleurs il travaille 7 jours /7. Il ne prend pratiquement jamais de vacances sauf sa petite semaine au Maroc. Son affaire, il veut la réussir. Prendre des vacances, c’est synonyme de l’abandonner.
Mais il a fermé boutique en semaine pour la première depuis des années pour m'emmener à l'aéroport. On a plus la Renault 12 break mais mon père a acheté une Renault Espace neuve. Son autre fierté. Lui qui achetait toujours des voitures d’occasion. Il a finit par acheter une voiture familiale toute neuve et une Renault, de surcroît. C'est fou comme le groupe Renault a marqué mon père et nos vies. Parfois, je demandais à mon père pourquoi il n'avait pas acheter une japonaise plus fiable et moins chère qu'une voiture française. Il me répond :
-« J'achète Renault pour payer le salaire de mes anciens collègues marocains qui travaillent toujours dans l'usine".
Mon père descend mettre mes bagages dans le coffre et ma maman me donne un petit sachet tout chaud. Il y a de la nourriture dedans, des nems, des pâtes et des m’semmens (crêpe marocaine). Je refuse en lui disant que je mangerais dans l'avion. Mais elle insiste en me disant que je n'aurais rien à manger le soir quand j'arriverais à Casablanca. Je finis par accepter car au final je sais que ma mère a toujours raison. Le temps presse. Mon père klaxonne en bas. Je fais un dernier tour de l'appartement dans lequel j'ai vécu durant 15 ans. Je vais voir les chambres de mes soeurs et de mon frère. Je regarde les poster collés au mur. Il y a Britney Spears, Rihanna et Amel Bent. Je fais un dernier tour dans la chambre de mes parents, je respire un grand coup pour sentir une dernière fois l'armoire des vêtements de mes parents. Je sens le foulard de prière de ma mère. Je ne peux m’empêcher de le lui prendre pour l’emmenais avec moi. Je vais ensuite dans le salon et j'ai des flashs soudainement des soirées hilarantes passées avec mes frère et soeurs en regardant la télé avec tous les Tout le monde en parle le samedi soir ou les T'empêche tout le monde de dormir, car comme on n'était pas autorisé à sortir le soir, seulement pour aller chercher cette satanée baguette et bien on a appris à s'évader via la télé. Je connais même toutes les émissions, les génériques et les personnages TV par coeur. Je dirais même que c'est la télé qui a fait mon éducation.
Je finis par franchir le seuil de la porte avec mon petit frère qui se moque de moi en ricanant. Ma mère ferme la porte à clef. Je me concentre pour entendre une nouvelle fois le bruit doux de la serrure et de la clé. Puis on descend vers la voiture.
Mes soeurs et mon frère ont décidé de venir avec moi. Et on démarre.
En chemin, le silence est pesant. Il n'y a que la musique rap du Ipod de mon petit frère qui résonne. Je le regarde avec tendresse et je me dis que le pauvre il est encore jeune. Il ne prend pas conscience que c'est peut être la dernière fois qu'il me voit. Mes deux autres soeurs, elles me tiennent chacune un bras et ne disent rien. Ma mère regarde devant elle sans rien dire. La seule chose que mon père me demande c'est si j'ai bien pris tous mes papiers. Avec papiers, il veut dire mon passeport et mon billet d'avion. Et je lui réponds d'un simple "oui papa, je les ai pris".Il me donne des petits conseils.
-« Quand tu arrives au Maroc, tu fais attention à ton sac à main. Il y a beaucoup de voleurs là-bas. Ils sont capables de te couper la main pour récupérer ton sac. Ne sors pas le soir trop tard, il y a des bandes qui agressent les jeunes filles avec des rasoirs, fais attention, ne sois pas naïve, ouvres tes yeux. Méfie toi de tout le monde. Tu as tes oncles et tantes pas très loin si tu as un problème appelles les et va les voir ».
Pendant que mon père me donnait ses interminables conseils, je regardais défiler les paysages de ma douce Nantes, si vite. Je regarde les petits magasins devant lesquels j’ai fait du lèche vitrine. Je regarde les gens dans les voitures voisines au feu rouge qui rient et qui vont certainement rentrer chez eux tranquillement. Parfois j’aurais voulu être française de souche ou être marocaine et avoir grandi au Maroc. Au moins là, je saurai qui je suis vraiment, je n’aurais pas les fesses entre deux chaises. Le fait que je sois française d’origine marocaine, j’ai besoin de savoir qui je suis, d’où je viens, quelles sont mes racines, d’être avec des gens qui me ressemblent. Parfois, au plus profond de moi, j’en veux à mes parents d’être venu vivre en France. C’est vrai qu’ils sont venus pour nous assurer un bon avenir. Et c’est le cas, car on ne manque de rien. Mais, il y a ce manque d’identité. Qui suis-je au fond ? Aux yeux de certains français de souche, je ne suis pas française. Je suis étrangère. Je suis fille d’immigré qui sait installer en France. Même si ces français ne sont pas racistes ou qu’ils n’adhèrent pas aux idées de Jean Marie Le Pen, ils n’arrivent pas à comprendre que la France c’es aussi la France des enfants de l’immigration. Je n’oublierais jamais cette anecdote qui m’est arrivée. Je suis allée un jour au médecin avec mon père qui avait mal au dos. Il avait porté un gros carton pour son épicerie et il s’est fait un tour de rein. J’attendais dans la salle d’attente avec une petite mamie élégante. Ce jour là, il pleuvait sur Nantes. Elle me regarde en souriant et me dit :
-« Quel temps de chien aujourd’hui !
Je réponds :
-« Ah il fait pas beau et un peu froid »
Elle ajoute :
-« Il doit faire beau du côté de chez vous ! «
Cette réponse m’a sidérée. Je ne savais pas quoi répondre. Certainement, cette petite dame toute mignonne ne voulait pas dire quelque chose de méchant. Elle a dit ça de manière spontanée. Au départ je ne comprenais pas. Et puis, avec le temps j’ai pensé et repensé à ces déclarations. Et avec le temps cela m’a fait mal. Car j’étais aussi nantaise que cette petite dame. C’est quoi la différence ? Elle est née en France. Moi aussi. Elle a une carte d’identité française. Moi aussi. La seule différence c’est l’apparence et le nom.
Au fil de la route, la tristesse m'enivre de plus en plus. Mais je me dis que je dois être forte. Après tout, c'est moi qui aie décidé de partir, donc je dois assumer. C'est vrai que quitter ses parents comme ça, c'est très difficile. On rêve d’avoir son indépendance. Mais quand le jour est venu de partir, on a envie de rester avec ses parents. Mes parents c'est toute ma vie. C'est en eux que j’ai le plus confiance. Ils ont toujours été là pour soigner mes bobos. Même si parfois, il y a eu des coups qui ont volé ou même si il y a parfois des incompréhensions entre nos deux mondes qui nous séparent et bien je les aime quand même. Le fait juste de partager un repas avec eux c'est un bonheur, de regarder la télé avec eux, de voir mon père lire son journal avec sa petit tasse de café à l'heure du déjeuner devant les infos de 13 heures de Jean Pierre Pernault. Tout ça, va me manquer énormément.
Sur le coup, j'aurais voulu leur dire "ca y est on rentre à la maison, je vous ai fait une blague, je ne vais pas au Maroc". Mais je ne pouvais pas. D’une, ils m'auraient certainement pas pris au sérieux. Et de deux, je dois vivre ma vie. Si je leur disais que je voulais rentrer à la maison, ils m’auraient considéré comme pas assez mure. Ils auraient été contents, certes mais ils me l’auraient reproché tout le temps car très souvent avec mes parents, tout ce que je dis ou fais sera retenu contre moi. Alors je décide de me taire et de continuer notre chemin vers l’aéroport.
On arrive à l'aéroport de Nantes. Mon père nous demande de descendre pour qu'il puisse garer la voiture. Nous descendons et nous prenons mes bagages et la voiture part. Quelques minutes plus tard, mon père revient avec sa démarche unique et nous pénétrons dans l'aéroport. Nous vérifions les horaires de mon vol. Nous sommes deux heures et quart à l'avance et pour arrêter cette torture mentale de l'attente, je dis à mes parents que je vais aller checker et que je vais embarquer maintenant. Ils ne me disent pas d'attendre, ils approuvent. J'aurais tellement eu envie qu'ils insistent pour qu'ils me disent de ne pas partir. Qui sait ? Je ne serais certainement pas partie. J'aurais continué ma misérable carrière de petite secrétaire intérimaire. Car en France, quand vous vous appelez Farida Benali, vous ne pouvez que devenir secrétaire. En France, si vous vous appelez Nourredine, Mohamed ou Tarek vous ne pouvez que faire des boulots de bac+2, comme vendeur ou technicien commercial. Et là vous trouvez du travail. Par contre, si vous avez un bac+5 ou 6, vous ne pouvez pas devenir cadre. Tant que vous avez ce nom arabe sur votre CV, vous ne trouverez pas du travail. Ca s’appelle tout simplement, la discrimination à l’embauche…
Je dis donc au revoir à mes parents. Je commence par mes soeurs et frère qui me serrent fort dans leur bras et qui me disent de prendre soin de moi. Mon petit frère me dit d'un petit air sadique que j'adore "à dans trois mois, la grosse". Je lance à mes soeurs et frère qu'il faut travailler dur à l'école. J'embrasse ensuite ma "mama" comme je dis. Elle est sur le point de pleurer mais résiste. Fière. Digne. Elle me sert fort dans ses bras. Je sens son parfum magique Mademoiselle Coco que je lui avait offert pour son anniversaire. Un parfum qui lui va si bien.
Elle me dit à l’oreille en chuchotant :
-"je t'aime ma fille et fais attention aux hommes et filles là bas et ne bois pas n'importe quoi qu'on te donne".
Je la regarde avec tristesse en lui disant tout simplement « oui ».
Enfin c'est au tour de mon père. Lui son regard reste impertu introubable. La vie lui a passé dessus comme un bus. Il reste digne. Il ne pleure pas. Mais sa main tremble un peu. Je le regarde dans les yeux. J’essaie de boire ses pensées de savoir ce qu’il pense au plus profond de son être. Je le serre dans mes bras si fort. Je respire aussi encore une fois son odeur. C’est une simple eau de toilette d’Auchan. Mon père c’est l’homme le plus simple du monde. A chaque fois que je lui achète des eaux de toilette de luxe ou des nouvelles chemises ou des pantalons, il les range dans son armoire et les laisse pour ses frères au Maroc lors de ses prochaines vacances au Maroc. Ca ne me fait pas mal de le voir ne pas porter les affaires que je lui achète car après tout ce sont des cadeaux et il a le droit d’en faire ce qu’il veut. Mon père n’a pas changé pendant ces trente ans depuis qu’il est en France. Il porte toujours les mêmes chemises quadrillées. Le même genre de pantalon et le même genre de chaussures. Pour lui, le luxe, c’est de s’habiller simplement. Lorsqu’il y a les soldes chez Auchan, il a l’habitude de tous nous prendre et nous achète les paires de chaussures que nous voulons. C’est vrai que ce n’est pas des chaussures italiennes, mais elles durent l’été et l’hiver.
Je m’embrasse mon père sur le front et je lui dis tout bas :
-"tu sais papa, le Maroc, c'est pas le Canada, c'est juste à côté".
Il me répond :
-"oui ma fille je sais". Je t’aime ma fille, va.
Ses mots d’amour résonnent toujours dans ma tête. C’est la première fois que mon père me dit « je t’aime ». Il ne me l’a jamais dit. Peut être par pudeur. Chez les père maghrébins, c’est parfois difficile de dire « je t’aime ». Et ses mots sont entrés dans mon cœur. Je ne les oublierais jamais.
Je prends mes valises et je pars. Je me retourne une dernière et je vois ma petite famille adorée devenir de plus en plus petite. Je leur envoie un dernier baiser et je leur dis tout haut et fort que je les aime. Ma mère met sa main devant sa bouche. Elle doit être en train de pleurer et je ne suis pas là, près d’elle pour la consoler. Mais je dois continuer mon chemin. Je poursuis mon chemin sans me retourner. Quelques larmes commencent à tomber sur mes joues.
Elles s'arrêtent lorsque je m'approche du guichet pour le check in.
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