jeudi 28 août 2008

Episode 5 : Lui

Lui c'est Amine. Mon petit ami de ses deux dernières années. C'était pas mon fiancé. Ni mon amant car je suis toujours vierge comme un pot de nutella non percé et je compte bien garder cette virginité le plus longtemps possible. C'était mon petit ami "platonique", je dirais.
Je l'avais rencontré durant mon BTS quand je faisais l'une des mes journées professionnelles dans un magasin de vêtements pour homme. J'étais vendeuse-stagiaire. Il était venu acheter une cravate. La première fois que je l'avais vu, je ne l'avais pas trouvé très attirant. Il était grand avait les épaules larges et portait des lunettes. Il portait un costume cravate ce jour là. Il s'est approché de moi. J'étais au téléphone. Il a patienté. Puis je me suis retournée vers lui et son regard m'a marqué. Il avait un charme fou. De magnifiques grands yeux bruns. Et la première chose que je regarde chez un homme, c'est ses mains. Les mains disent tout d'une personne. Même si un homme est bien habillé et une femme bien maquillée, il faut regarder les mains et là toute la personnalité ressort. Et ces mains a lui étaient bien soignées. Les ongles parfaits. Des ongles propres et bien limés. On pouvait voir que c'était un homme qui prenait soin de lui. Je reviens à mes esprits. Et je lui dit en bafouant telle une conne : "Monssss...Monsieur en quoi puis-je vous aider?" Au fond, il y avait cette petite voice over au fond de moi qui me traitait de conne et moi je lui répondais de se taire à cette connasse de voix. Je sentis la chaleur me montait et mes joues sont devenues brulantes comme une friteuse. Je ne pouvais pas le regarder dans les yeux. Il me répond : "Oui je souhaiterais voir vos cravates s'il vous plait Mademoiselle". Je lui dis : "oui pas de problème Monsieur. Veuillez me suivre s'il vous plait." Je passe devant et je l'amène vers le rayon des cravates. Et là je commence à sortir tout mon argumentaire de vente que j'ai appris durant la formation "c'est pour quelle occasion", "quel est le prix que vous souhaitez mettre dans une cravate" etc..blabla bla blablabli. Des questions un peu lourdes mais qui marchent, mine de rien.


Et lui répondait avec calme à chacune de mes questions connes avec une voix charmante. Son eau de toilette m'enivrait. C'était comme dans la pub de Axe. J'ai failli me jeter sur lui.
Il hésitait entre deux cravates : une bleue ciel et une marron rayée. Et soudainement, il me demande : "et vous mademoiselle, vous préférez laquelle". Celle ci, on me l'avait jamais faite. Jamais aucun client ne m'avait demandé mon avis pour une cravate ou un costume. Je ne savais pas quoi répondre, je rougissais. Je voulais juste prendre mes jambes à mon cou et fuir voir "mama". Mais je ne pouvais pas. D'une, je n'avais plus 5 ans. Et de deux, j'étais en stage et Monsieur Fourniret, le gérant du magasin me surveiller de loin. Il croit que je ne le vois pas mais il est caché derrière le rayon des chaussures italiennes. Comme tous les vendeurs, j'avais un objectif de vente à atteindre. Certes, moins important que mes collègues vendeurs car j'étais stagiaire mais je voulais prouver à Monsieur Fourniret que moi aussi je savais vendre. Toujours ce défi qui colle à la peu des français d'origine maghrébine. Nous les beurs, comme on dit, on doit toujours bosser deux fois plus que les français de souche. On doit toujours leur montrer qu'on est pas des dealers ou des voleurs comme le montre la chaîne TF1. Je respire un bon coup comme je l'ai appris au cours de yoga. Comme une professionnelle, je prends la première cravate bleue. Je la pose sur l'épaule gauche d'Amine. Et je finis par le regarder dans les yeux en inclinant de la tête vers la droite et la gauche pour voir si la couleur allait avec ses yeux. ("oh lala la des yeux magnifiques, on s'y perdrait! ta gueule la petite voix !!!!"). Je la pose sur l'étagère et je fais de même avec la cravate marron. Je finis par lui dire en le regardant droit dans les yeux :
"Monsieur, la bleue va beaucoup mieux avec vos yeux".

Il me répond en me souriant: "et bien mademoiselle, si vous trouverez que la bleue me va le mieux. Je prendrais la bleue".
Je lui dis : "Veuillez me suivre alors". Je l'emmenais en caisse.
Je commencais à emballer la cravate et je sentais un regard lourd se posait sur moi. Je relevais les yeux tout doucement et je le voyais me regarder, puis il a baissé ses yeux rapidement. Ca me gênait énormément. Je terminais l'emballage rapidement tout en respirant. Je me disais au fond que c'était certainement un de ses dragueurs qui se trimballait en costard dans les rues pour plaire et attirer les filles dans leur lit. Je me disais que je n'étais pas l'une de ses filles. J'étais une fille digne et vierge en plus. Enfin je lui lance d'une voix un peu sec : "ca fait 69, 90 euros Monsieur".
Il me demande si il pouvait payer par carte bleue. Je lui répond que oui. Il me la donne et là je remarque qu'il n'avait aucune alliance à son doigt. (Youpi !, Ta gueule la petite voix ! ). En passant la carte, je jette un coup d'oeil rapide sur la carte. C'est là que je découvris son prénom. Il s'appelait Amine. C'est beau Amine. Je lui donne son ticket de caisse et lui remet son petit sac en lui lançant d'une manière un peu cucu. "Merci de votre achat Monsieur A la prochaine". Il me répond avec un petit sourire "J'y compte bien, au revoir Farida". Et je le regardais partir sans oublier de regarder ses fesses et ses fesses étaient, waouh trop sex. Un beau petit cul bien bombé. Excusez-moi je me lâche là. Mais ensuite je me suis demandé mais comment il connaissait mon prénom. Et là je me tape le front : bien sur il avait vu mon nom sur mon badge. Parfois je suis vraiment conne. Soudainement, Monsieur Fourniret est venu me féliciter de ma vente : "Bravo Farida, je vous surveillais depuis tout à l'heure discrètement et je dois avouer que vous avez excellemment bien appliquer l'argumentaire de vente que je vous ai appris et vous avez vu ça a payé. Vous avez vendu l'une de nos plus belles cravates, bravo."
Je ne pensais pas du tout à ma vente réussie mais à lui, Amine. Je ne savais pas qui il était et où il vivait.

La semaine suivante, jour de mon action professionnelle, Amine revint à ma grande surprise encore une fois, à la même heure. Il voulait acheter une nouvelle cravate d'un bleu un peu plus foncé. Puis la semaine suivante, il revint au magasin pour acheter une autre cravate bleue et rayée. Chaque semaine durant 6 semaines il est venu au magasin pour acheter des cravates et rien que des cravates. Il devait vraiment faire collection des cravates bleues. Il en avait de tous les tons. A la sixième semaine après avoir explosé mon objectif de vente et certainement dépensé tout son argent, Amine finit par m'inviter à boire un café avec lui. Je ne savais pas quoi répondre sur le coup. Mais le fait qu'il soit venu toute ses semaines m'acheter une cravate et après avoir dépensé 420 euros, j'ai été charmé de son intention. Je crois que ça ne pouvait être qu'une personne bien. Je finis par accepter, après tout, un café c'est rien. Ça sera l'occasion de mieux le connaitre. J'accepte donc. Il me demande si le soir même j'étais libre et je lui répond que oui. On se donne rendez-vous devant le cinéma Gaumont au centre ville à 18h30 juste après mon travail. Un lieu très peuplé à 18h30 et qui va me permettre de passer inaperçu.

Episode 4 : Découverte de mon appart au Maarif

Sur la route, je découvrais le paysage qui s'offrait à moi. D'immenses et d'immenses terres qui n'étaient pas construites. Pour le moment car le Maroc est un vrai chantier géant. Tout se construit très vite et je dirais même partout, sans même parfois se demander ce qu'il y avait avant.
Je me laissais bercer par ses plaines infinies. Je m'enfonçais dans mon siège et je commencais tout doucement à m'endormir. Mais soudainement le chauffeur a mis une cassette du Coran. Ce n'est pas que je n'aime le Coran bien au contraire. C'est juste que le moment était mal choisi. Je pensais tout simplement à mes parents et à mes soeurs et mon frère. J'avais juste envie de pleurer. C'est fou ce que le Coran a une influence sur nos émotions. On repense à ce que l'on a fait de bien et de mal dans sa vie et on veut juste que le Tout puissant nous aide et nous pardonne. Je crois en Dieu, je fais le Ramadan mais je ne fais pas la prière. Mais mes parents l'a font. Dieu pour moi c'est cet être avec qui je parle tous les soirs dans mon lit pour qu'il puissent protéger mes parents, ma famille et les membres de ma famille qui sont morts mais également je pense aussi à ces millions de personnes qui meurent de faim dans le monde et qui n'ont pas la chance d'avoir ma vie et qui n'ont pas la chance d'être né dans un pays libre. Pour moi Dieu c'est cet être accessible qui connait tout mes secrets et mes intentions. Quand j'étais petite, je l'imaginais vivant dans le ciel parmi les nuages et c'était un vieillard avec une longue barbe blanche. Dieu est de toute confession. Quand des millions de musulmans, de chrétiens et de juifs prient Dieu. C'est le même Dieu. Il n'y a qu'un ciel. Le ciel c'est parti comme sur terre délimitée de frontières. Je pense que Dieu pardonnes à tout le monde si on lui demande pardon. Je pense que Dieu accueille dans son paradis les gens de toute confession : qu'il soit juif, chrétien ou musulman parce qu'à l'origine on est tous pareil. Je ne crois pas en ces discours extrêmes qui pensent que seuls les musulmans partiront au paradis parce que parmi les musulmans, il y a des gens qui ne méritent nullement d'y aller à cause de leurs actes et pêchés. Mais ils pensent qu'avec la prière tous leurs pêchés sont oubliés. Et le lendemain, ils récidivent. En tout cas, c'est ce que je pense. C'a n'engage que moi. C'est comme ça que j'ai été élevé par mes parents. On m'a appris à respecter l'autre. L'école républicaine française m'a appris à vivre avec les autres enfants de différentes religions. Même si eux parfois n'avaient pas la même tolérance que moi. Mais qu'importe, ce n'était que des enfants.

Le Coran continuait. J'avais en tête mes parents qui priaient tous les deux. Je voyais leur visage concentré. Une larme commencait à couler. J'avais envie de dire au chauffeur d'arrêter la cassette car ça me faisait mal au coeur, mais j'avais peur de comment il allait le prendre. Donc j'ai rien dit. Je me suis endormi. Encore.

Soudainement, je me fais réveiller par le chauffeur qui me dit qu'on était arrivé au Maarif mais qui ne savait pas ou se rendre. Alors je lui dis à côté du Mac Donald's. Anne Marie m'avait bien dit que l'appartement était juste derrière le Mac Do. On arrive. Le chauffeur s'arrête juste ne face. Il descend pour récupérer ma valise. Je sors et je lui demande combien a couté la course. Il me répond 120 dirhams. Je n'avais pas encore converti mon argent. Donc je lui demande s'il accepte des euros. Au départ, il n'était pas très content, mais je lui dis que j'avais que ça et il finit par accepter. Je lui donne 15 euros. Il a l'air plus tôt content. Je le remercie, prends ma valise et je commence à marcher derrière le Mac Do. Anne Marie m'avait dit que l'appart se situait à l'étage d'un café qui s'appelle "Café du Maarif". Je demande à une passante en darija ou se trouve le café. Elle me répond de continuer tout droit. C'est ce que je fais. Je finis par trouver le café. A sa droite, il y une porte d'entrée. Au dessus il y a le numéro, c'est le 26. C'est bien là. Je regarde la façade. L'appart est situé au dernier étage au cinquième, sans ascenseur bien sur. Je respire un bon coup. Je m'encourage pour monter ces marches. Et j'y vais. Ma valise est lourde malgré le peu de choses que j'ai mise dedans. Je monte les escaliers péniblement en portant ma valise en espérant à chaque étage d'être arrivé. Au mois, je me dis que ces marches seront mon exercice quotidien. J'arrive enfin. Je prends la clé dans mon sac. Je respire un bon coup en me disant que c'est là que ma vie au Maroc va commencer. J'ouvre. Je dépose ma valise à l'entrée. Il y a une odeur de renfermé. Les volets étaient fermés. L'appartement n'a pas du être loué depuis plusieurs semaines. Je me dirige vers les fenêtres pour ouvrir les volets. Et là je découvre la vue sur les ruelles du Maarif. Il y avait des magasins, d'autres cafés et des épiceries. Et cette odeur indescriptible du Maroc. Un odeur que j'adore et qu'y m'ait familière. Ca avait l'air assez calme. Je commence à visiter l'appart. C'est assez petit mais ça me conviendra. Il est meublé. Il y a un petit salon marocain avec une vieille télé. La cuisine est toute rikiki mais il y a tout. Un four et une plaque et des ustensiles. La salle de bain est très vieillote. Les carrelages on commencé à sauter à cause de l'humidité mais au mois il y a le strict minimum. Je ne vais pas faire ma bourgeoise. Il y a une petite douche rouille avec un rideau de douche un peu sale, une miniscule machine à laver et là le choc : des toilettes turques. Je déteste ça. Je n'arrive jamais à pisser sans m'en mettre plein les jambes. Mais c'est pas grave. Je ne fais pas la difficile. Au moins, je me dis que c'est plus hygiénique. Je peux me rincer les fesses juste après. Et puis je suis curieuse de découvrir ma chambre. Elle est petite. Il n'y a pas de lit. Juste un matelas par terre avec une vieille commode et armoire. Le meilleur de l'appart : une terrasse. Elle est pas immense mais c'est juste génial pour les petits diners en solo avec vue sur les rues. En somme je suis assez satisfaite de cet appart. C'est pas le luxe. Mais cette satisfaction vient du fait que c'est la première fois que je vis seule. C'est mon petit chez moi, rien qu'à moi. Je suis contente. Je vais chercher ma valise. Je l'ouvre. Je cherche parmi mes affaires mes trois photos préférées. Il y a celle de mes parents dont je vous ai parlé, une photo de famille avec mon frère et ma soeur. Et la troisième photo, c'est sa photo à lui.

lundi 18 août 2008

Episode 3 : Direction l’aéroport Mohamed V de Casablanca

Je sèche mes larmes et je m’approche d’un pas lent de la queue pour le check in. Ca va vite. C’est bientôt mon tour. C’est mon tour. Je donne les références de mon ticket et mon passeport. Et direct je demande une place près du hublot. J’adore les hublots. Je suis un peu claustrophobe. J’ai besoin de voir des grands espaces. La dame me demande de poser mes bagages sur la balance. Je pose ma valise. 23 kilos. Elle part, elle est attirée par la machine mangeuse de valise. Je la vois partir en me disant que là je ne peux plus retourner en arrière. Je prends mon petit bagage et je pars cers la porte 12 c pour embarquer. En partant, j’entends une petite voix qui m’appelle « Farida ». C’est Younès mon petit frère qui court vers moi. Il saute dans mes bras et me sert fort dans ses bras. Il me dit dans mon oreille : « Farida, je t’aime , on reste en contact sur MSN ». Je l’embrasse sur ses joues. Et puis il repart courir en direction d’une femme qui est ma mère. Je leur fais bye bye et je repars. En me remémorant les paroles douces de mon frère. Je respire un bon coup et j’y vais.

Je m’assois dans la salle d’embarquement. Il y a beaucoup de monde. Des femmes portent des jellabas, des voiles. Ca parle la darija. Et le fait d’écouter cette langue, ça me réconforte. Cette langue, c’est ma deuxième langue. C’est celle utilisée par mes parents pour parler entre eux. Cette langue me calme, me tranquilise. Elle m’appartient autant que le français. Elle me fait sentir chez moi parmi des membres de ma famille. Je prends une place libre à quelques sièges d’une vieille dame seule avec un gros sac cabas devant elle. J’avais prévu un livre pour cette attente : Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire. Un livre que j’avais déjà lu durant ma terminal L, mais c’est un livre que j’ai toujours sur moi.

Je lis, lis et lis encore bercée par les différentes variations des voix, des rires et des cris des gens qui m’entourent, des gens qui parlent la darija. L’hôtesse de terre appelle les passager du vol Nantes Casablanca. C’est moi. C’est nous. Tout le monde se lève d’un coup et pars rapidement faire la queue ou les queues car ce n’est pas une queue qui se dessine mais plusieurs. Je prends mon temps. Après tout l’avion ne va décoller sans nous. Le Maroc ne va pas s’envoler. Il est toujours là bas en Afrique du Nord. Je regarde un groupe de jeune filles juste devant moi. Très bien foutues. Bien maquillées, peut être trop qui parlent trop fort, qui rit trop fort. C’est mon tour. L’hôtesse me souhaite un bon voyage. Au fond de moi, j’espère faire un bon voyage. Je le souhaite. J’abaisse les yeux vers mes pieds qui m’emmènenent et m’emmènent. C’est la dernière fois que je marche sur la terre française et je rentre dans le grand couloir. Ca y est je suis en terrain neutre. Je ne suis plus en terre française. Je me dirige vers la terre marocaine.

Les hôtesses m’accueillent. Je vérifie mon numéro de siège 11A. Il ne faut pas être pressé. Le temps que les passagers mettent leur 25 kilos dans les minuscules compartiments de l’avion. J’attends. Je passe. J’arrive à mon rang de siège. Et paf ! Quelqu’un est à ma place au 11A. Merde. Purée c’est ma place. L’homme fait semblant de ne pas me voir et fait semblant de dormir. Je mets d’abord mon bagage à main dans le compartiment, je respire et d’une voix douce et ferme je lui dis en français : « Monsieur vous êtes à ma place ». Il continue de dormir. Je répète un peu plus fermement : « Monsieur, vous êtes à place ». Il rouvre ses yeux brusquement et me dit en darija « excusez-moi, madame, je ne savais pas ». Il se lève et change de rang. En fait il n’était même pas installé au 11B ou au 11C. Il était finalement au 14 F. Je m’assois soulagée par cette petite victoire et je repense à ce qui vient de se passer. Et je me félicite intérieurement. C’est ma place. C’est moi qui ait demandé près du hublot. Je ne laissera pas mon du. Mon père m’avait prévenu de ne pas me laisser faire. Il me répètait ce qui est à toi et à toi. Fière de cette victoire, je ferme les yeux. Je vois le petit marchand de sable du désert du Sahara venir, m’ouvrir les yeux et me déverser ses petits sacs de sable. Je dors profondément.

Des applaudissements me réveillent soudainement. Pourquoi les gens applaudissent-ils ? Et une voix dit « Mesdames et Monsieur, nous sommes arrivé à Casablanca… »Je regarde les gens autour de moi qui sont contents d’avoir atterri sains et sauf. Comme si une fois sur deux, l’avion se crashe. J’hallucinais. Je n’avais ni senti le décollage, ni l’atterrissage.

L’avion s’arrête. D’un coup tout le monde se lève, et ouvre les compartiments. Comme d’habitude je patiente avant de descendre de l’avion.

Ca y est je débarque à Casablanca. Il est 18h36. Il fait bientôt nuit en ce mois de février. J'arrive au niveau des bureaux de douane. Une magnifique fontaine nous accueille dans le hall avec le portrait du roi Mohamed V. Il est très beau, charismatique. Et tout bas, je dis « Bonjour Majesté ». Il n'y a pas trop de monde, ca devrait aller vite. Mon prochain objectif : récupérer ma valise. Je fais la queue. C'est mon tour. Je dis bonjour à l'inspecteur de police et je lui remets mon passeport. Il me demande ma carte nationale. Alors moi je cherche dans mon sac et je lui donne ma carte nationale française. Il me répond d'un ton sec"non, la carte marocaine". Je le regarde. Je commence à paniquer je ne sais pas de quoi il parle et en une fraction de secondes : je comprends, il veut parler de la carte d'identité marocaine que je n'ai pas. Je lui réponds donc que je ne l'ai pas. Il me dit en me tutoyant : "tu es bien marocaine, ton nom c'est bien Farida Benali, fille de Zohra Ait Hamza et de Bouchaib Benali".
Je réponds que oui je suis bien marocaine et leur fille.
Il me réponds : "tu dois faire la carte"
Et par curiosité, je lui demande est-ce vraiment obligatoire. Il me dis : "tu es marocaine, c'est mieux".

J'avais envie de lui dire que j'étais avant tout française puisque je lui présentais un passeport français. Mais bon au fond je savais qu’il avait raison puisque maintenant je suis au Maroc. Je suis marocaine. Si je vole, si je tue ou si je vends de la drogue ou même de la Vache qui Rit, je suis sous la loi marocaine. Fini la loi française. Je ne suis assez blonde pour être française à 100%. Je m’appelle Farida Benali et non pas Alexia de la Roche Joubert. Au Maroc, je suis une MRE, une Marocaine Résidant à l’Etranger. Et en France, je suis une Française d’origine marocaine ou une beurette. C’est bête toutes ses étiquettes. Pourquoi on ne me prend pas comme je suis, c’est tout. Je me dis pauvre de nous. Tous ces millions de jeunes maghrébins nés en France, on devrait créer un pays rien que pour nous, qu’on appellerait Beurland. Les lois seront mi françaises et mi marocaines. Pas d’étiquette on serait citoyen de ce pays. Pas besoin de parler de ce foutu mot d’intégration, qu’on met dans toutes les sauces harissa.

Je respire un bon coup. Je récupère mon passeport « zènement » comme j'ai appris lors de mes cours de yoga et je réponds à l'inspecteur l'un des seuls que je connais "choukrane, Salam AAlikoum". Et je me dirige vers ma valise en expirant tout doucement. Mon passeport était tamponné. Ma nouvelle vie au Maroc débutait. J’ai très vite compris que ici la Zen attitude devrait être de rigueur.

J’attends ma valise. Il y a beaucoup de valises, des sacs de toutes les formes, des cartons etc…Ca y est je vois la mienne. Une valise noir avec un ruban cadeau vert fluo. Je ne la rate pas. C’est une idée de mon père. Il me dit toujours pour reconnaître ma valise, il faut mettre un fil de couleur. Je récupère ma valise et me retourne. Un homme en uniforme jaune avec un caddie me fait peur. Je me dis mais par où il est sorti lui. Je lui dis non merci pour le caddie. Il insiste et je répète fermement en darija « non merci ». Et il part vers d’autres personnes.

Je me dirige vers la sortie et un autre inspecteur en uniforme me demande mon passeport. Il me demande ma carte d’identité marocaine. Et je lui répond que je ne l’ai pas. Il me dit qu’il faut que je l’ai. Je lui dit « Inch Allah ». Un mot passe-partout. Ce mot est divinement génial. Si vous ne voulez pas faire quelque chose, vous n’avez qu’à répondre « Inch Allah » et vous êtes tranquille. Je sors et je me dirige vers la sortie de l’aéroport enfin. Le ciel est magnifiquement bleu sans aucun nuage. Il fait bon. Les palmiers sont verts. Il fait beau. Ca change de la grisaille française. Un ciel qui me remonte le moral.

J’attends un taxi pour aller au Maarif. C’est là bas que je vais louer pendant ces trois prochains mois un petit appartement. C’est ma copine Anne Marie qui me l’a déniché. Elle connaît quelqu’un, qui connaît quelqu’un, qui connaît quelqu’un et qui connaît quelqu’un qui connaît un marocain qui louait cet appart. Parfois je me dis même qu’Anne Marie, elle est plus marocaine et débrouillarde que moi. Je vais le louer 3000 dirhams tout compris et aménagé, soit à peu près 300 euros. Ce qui fait qu’avec mes petits 1500 euros, je devrais trouver un travail très rapidement. Mais Anne Marie m’a donné quelques contacts d’employeurs qu’elle connaît de ses amis. Je verrai une fois installée.

Je vois une queue de taxis et je vais les voir. Je demande à un chauffeur le Maarif. Il me dit de monter. Il sort en voyant ma valise et me la met dans mon coffre et ca y est c’est parti. Direction le Maarif.

vendredi 15 août 2008

Episode 2 : Départ vers l'aéroport de Nantes

Jour J. Ça y est c'est aujourd'hui que je quitte la France pour mon grand voyage au Maroc. J'ai préparé mes affaires : une grande valise et un sac avec des affaires d'été surtout et quelques fringues pour l'hiver. On ne sait jamais. Vraiment l'indispensable et non pas l'inutile. J'ai pris ma photo préférée de mes parents qui s'enlacent. L'un des seuls instants volés à mes parents montrant au grand jour leur amour. D'habitude ils sont très pudiques. C'est moi qui avais pris cette photo lors de leur 25 ème anniversaire de mariage. Un moment inoubliable avec un gâteau délicieux et toute la famille présente. Je prends bien sur les photos de mes frère et sœurs. Je pèse mes bagages sur une balance dans la salle de bain. Elle fait 26,3 kilos. Ca devrait aller. Je voulais me rendre à l'aéroport en navette. Mais ma famille et surtout mon père ont insisté pour qu'ils m'emmènent à l'aéroport. Ça m'aurait épargné cette petite nostalgie qui monte en moi car c'est la première fois que je quitte ma famille, pour plus....de trois jours. Mes trois d’absence c’était lorsque j'ai passé un week-end chez ma meilleure amie d'enfance Anne-Marie. Une amie que mes parents connaissent très bien. Mon père ne voulait jamais me laisser partir quelque part pour plus de 12 heures ! Il regardait trop la télévision et lisait trop la rubrique des faits divers dans les journaux. Il avait peur que je me fasse enlevée ou même violer.

Ce qui me gène le plus, ce jour là, le jour de mon départ c'est que mon père travaillait. D'ailleurs il travaille 7 jours /7. Il ne prend pratiquement jamais de vacances sauf sa petite semaine au Maroc. Son affaire, il veut la réussir. Prendre des vacances, c’est synonyme de l’abandonner.

Mais il a fermé boutique en semaine pour la première depuis des années pour m'emmener à l'aéroport. On a plus la Renault 12 break mais mon père a acheté une Renault Espace neuve. Son autre fierté. Lui qui achetait toujours des voitures d’occasion. Il a finit par acheter une voiture familiale toute neuve et une Renault, de surcroît. C'est fou comme le groupe Renault a marqué mon père et nos vies. Parfois, je demandais à mon père pourquoi il n'avait pas acheter une japonaise plus fiable et moins chère qu'une voiture française. Il me répond :

-« J'achète Renault pour payer le salaire de mes anciens collègues marocains qui travaillent toujours dans l'usine".

Mon père descend mettre mes bagages dans le coffre et ma maman me donne un petit sachet tout chaud. Il y a de la nourriture dedans, des nems, des pâtes et des m’semmens (crêpe marocaine). Je refuse en lui disant que je mangerais dans l'avion. Mais elle insiste en me disant que je n'aurais rien à manger le soir quand j'arriverais à Casablanca. Je finis par accepter car au final je sais que ma mère a toujours raison. Le temps presse. Mon père klaxonne en bas. Je fais un dernier tour de l'appartement dans lequel j'ai vécu durant 15 ans. Je vais voir les chambres de mes soeurs et de mon frère. Je regarde les poster collés au mur. Il y a Britney Spears, Rihanna et Amel Bent. Je fais un dernier tour dans la chambre de mes parents, je respire un grand coup pour sentir une dernière fois l'armoire des vêtements de mes parents. Je sens le foulard de prière de ma mère. Je ne peux m’empêcher de le lui prendre pour l’emmenais avec moi. Je vais ensuite dans le salon et j'ai des flashs soudainement des soirées hilarantes passées avec mes frère et soeurs en regardant la télé avec tous les Tout le monde en parle le samedi soir ou les T'empêche tout le monde de dormir, car comme on n'était pas autorisé à sortir le soir, seulement pour aller chercher cette satanée baguette et bien on a appris à s'évader via la télé. Je connais même toutes les émissions, les génériques et les personnages TV par coeur. Je dirais même que c'est la télé qui a fait mon éducation.

Je finis par franchir le seuil de la porte avec mon petit frère qui se moque de moi en ricanant. Ma mère ferme la porte à clef. Je me concentre pour entendre une nouvelle fois le bruit doux de la serrure et de la clé. Puis on descend vers la voiture.

Mes soeurs et mon frère ont décidé de venir avec moi. Et on démarre.

En chemin, le silence est pesant. Il n'y a que la musique rap du Ipod de mon petit frère qui résonne. Je le regarde avec tendresse et je me dis que le pauvre il est encore jeune. Il ne prend pas conscience que c'est peut être la dernière fois qu'il me voit. Mes deux autres soeurs, elles me tiennent chacune un bras et ne disent rien. Ma mère regarde devant elle sans rien dire. La seule chose que mon père me demande c'est si j'ai bien pris tous mes papiers. Avec papiers, il veut dire mon passeport et mon billet d'avion. Et je lui réponds d'un simple "oui papa, je les ai pris".Il me donne des petits conseils.

-« Quand tu arrives au Maroc, tu fais attention à ton sac à main. Il y a beaucoup de voleurs là-bas. Ils sont capables de te couper la main pour récupérer ton sac. Ne sors pas le soir trop tard, il y a des bandes qui agressent les jeunes filles avec des rasoirs, fais attention, ne sois pas naïve, ouvres tes yeux. Méfie toi de tout le monde. Tu as tes oncles et tantes pas très loin si tu as un problème appelles les et va les voir ».

Pendant que mon père me donnait ses interminables conseils, je regardais défiler les paysages de ma douce Nantes, si vite. Je regarde les petits magasins devant lesquels j’ai fait du lèche vitrine. Je regarde les gens dans les voitures voisines au feu rouge qui rient et qui vont certainement rentrer chez eux tranquillement. Parfois j’aurais voulu être française de souche ou être marocaine et avoir grandi au Maroc. Au moins là, je saurai qui je suis vraiment, je n’aurais pas les fesses entre deux chaises. Le fait que je sois française d’origine marocaine, j’ai besoin de savoir qui je suis, d’où je viens, quelles sont mes racines, d’être avec des gens qui me ressemblent. Parfois, au plus profond de moi, j’en veux à mes parents d’être venu vivre en France. C’est vrai qu’ils sont venus pour nous assurer un bon avenir. Et c’est le cas, car on ne manque de rien. Mais, il y a ce manque d’identité. Qui suis-je au fond ? Aux yeux de certains français de souche, je ne suis pas française. Je suis étrangère. Je suis fille d’immigré qui sait installer en France. Même si ces français ne sont pas racistes ou qu’ils n’adhèrent pas aux idées de Jean Marie Le Pen, ils n’arrivent pas à comprendre que la France c’es aussi la France des enfants de l’immigration. Je n’oublierais jamais cette anecdote qui m’est arrivée. Je suis allée un jour au médecin avec mon père qui avait mal au dos. Il avait porté un gros carton pour son épicerie et il s’est fait un tour de rein. J’attendais dans la salle d’attente avec une petite mamie élégante. Ce jour là, il pleuvait sur Nantes. Elle me regarde en souriant et me dit :

-« Quel temps de chien aujourd’hui !

Je réponds :

-« Ah il fait pas beau et un peu froid »

Elle ajoute :

-« Il doit faire beau du côté de chez vous ! «

Cette réponse m’a sidérée. Je ne savais pas quoi répondre. Certainement, cette petite dame toute mignonne ne voulait pas dire quelque chose de méchant. Elle a dit ça de manière spontanée. Au départ je ne comprenais pas. Et puis, avec le temps j’ai pensé et repensé à ces déclarations. Et avec le temps cela m’a fait mal. Car j’étais aussi nantaise que cette petite dame. C’est quoi la différence ? Elle est née en France. Moi aussi. Elle a une carte d’identité française. Moi aussi. La seule différence c’est l’apparence et le nom.

Au fil de la route, la tristesse m'enivre de plus en plus. Mais je me dis que je dois être forte. Après tout, c'est moi qui aie décidé de partir, donc je dois assumer. C'est vrai que quitter ses parents comme ça, c'est très difficile. On rêve d’avoir son indépendance. Mais quand le jour est venu de partir, on a envie de rester avec ses parents. Mes parents c'est toute ma vie. C'est en eux que j’ai le plus confiance. Ils ont toujours été là pour soigner mes bobos. Même si parfois, il y a eu des coups qui ont volé ou même si il y a parfois des incompréhensions entre nos deux mondes qui nous séparent et bien je les aime quand même. Le fait juste de partager un repas avec eux c'est un bonheur, de regarder la télé avec eux, de voir mon père lire son journal avec sa petit tasse de café à l'heure du déjeuner devant les infos de 13 heures de Jean Pierre Pernault. Tout ça, va me manquer énormément.

Sur le coup, j'aurais voulu leur dire "ca y est on rentre à la maison, je vous ai fait une blague, je ne vais pas au Maroc". Mais je ne pouvais pas. D’une, ils m'auraient certainement pas pris au sérieux. Et de deux, je dois vivre ma vie. Si je leur disais que je voulais rentrer à la maison, ils m’auraient considéré comme pas assez mure. Ils auraient été contents, certes mais ils me l’auraient reproché tout le temps car très souvent avec mes parents, tout ce que je dis ou fais sera retenu contre moi. Alors je décide de me taire et de continuer notre chemin vers l’aéroport.

On arrive à l'aéroport de Nantes. Mon père nous demande de descendre pour qu'il puisse garer la voiture. Nous descendons et nous prenons mes bagages et la voiture part. Quelques minutes plus tard, mon père revient avec sa démarche unique et nous pénétrons dans l'aéroport. Nous vérifions les horaires de mon vol. Nous sommes deux heures et quart à l'avance et pour arrêter cette torture mentale de l'attente, je dis à mes parents que je vais aller checker et que je vais embarquer maintenant. Ils ne me disent pas d'attendre, ils approuvent. J'aurais tellement eu envie qu'ils insistent pour qu'ils me disent de ne pas partir. Qui sait ? Je ne serais certainement pas partie. J'aurais continué ma misérable carrière de petite secrétaire intérimaire. Car en France, quand vous vous appelez Farida Benali, vous ne pouvez que devenir secrétaire. En France, si vous vous appelez Nourredine, Mohamed ou Tarek vous ne pouvez que faire des boulots de bac+2, comme vendeur ou technicien commercial. Et là vous trouvez du travail. Par contre, si vous avez un bac+5 ou 6, vous ne pouvez pas devenir cadre. Tant que vous avez ce nom arabe sur votre CV, vous ne trouverez pas du travail. Ca s’appelle tout simplement, la discrimination à l’embauche…

Je dis donc au revoir à mes parents. Je commence par mes soeurs et frère qui me serrent fort dans leur bras et qui me disent de prendre soin de moi. Mon petit frère me dit d'un petit air sadique que j'adore "à dans trois mois, la grosse". Je lance à mes soeurs et frère qu'il faut travailler dur à l'école. J'embrasse ensuite ma "mama" comme je dis. Elle est sur le point de pleurer mais résiste. Fière. Digne. Elle me sert fort dans ses bras. Je sens son parfum magique Mademoiselle Coco que je lui avait offert pour son anniversaire. Un parfum qui lui va si bien.

Elle me dit à l’oreille en chuchotant :

-"je t'aime ma fille et fais attention aux hommes et filles là bas et ne bois pas n'importe quoi qu'on te donne".

Je la regarde avec tristesse en lui disant tout simplement « oui ».

Enfin c'est au tour de mon père. Lui son regard reste impertu introubable. La vie lui a passé dessus comme un bus. Il reste digne. Il ne pleure pas. Mais sa main tremble un peu. Je le regarde dans les yeux. J’essaie de boire ses pensées de savoir ce qu’il pense au plus profond de son être. Je le serre dans mes bras si fort. Je respire aussi encore une fois son odeur. C’est une simple eau de toilette d’Auchan. Mon père c’est l’homme le plus simple du monde. A chaque fois que je lui achète des eaux de toilette de luxe ou des nouvelles chemises ou des pantalons, il les range dans son armoire et les laisse pour ses frères au Maroc lors de ses prochaines vacances au Maroc. Ca ne me fait pas mal de le voir ne pas porter les affaires que je lui achète car après tout ce sont des cadeaux et il a le droit d’en faire ce qu’il veut. Mon père n’a pas changé pendant ces trente ans depuis qu’il est en France. Il porte toujours les mêmes chemises quadrillées. Le même genre de pantalon et le même genre de chaussures. Pour lui, le luxe, c’est de s’habiller simplement. Lorsqu’il y a les soldes chez Auchan, il a l’habitude de tous nous prendre et nous achète les paires de chaussures que nous voulons. C’est vrai que ce n’est pas des chaussures italiennes, mais elles durent l’été et l’hiver.

Je m’embrasse mon père sur le front et je lui dis tout bas :

-"tu sais papa, le Maroc, c'est pas le Canada, c'est juste à côté".

Il me répond :

-"oui ma fille je sais". Je t’aime ma fille, va.

Ses mots d’amour résonnent toujours dans ma tête. C’est la première fois que mon père me dit « je t’aime ». Il ne me l’a jamais dit. Peut être par pudeur. Chez les père maghrébins, c’est parfois difficile de dire « je t’aime ». Et ses mots sont entrés dans mon cœur. Je ne les oublierais jamais.

Je prends mes valises et je pars. Je me retourne une dernière et je vois ma petite famille adorée devenir de plus en plus petite. Je leur envoie un dernier baiser et je leur dis tout haut et fort que je les aime. Ma mère met sa main devant sa bouche. Elle doit être en train de pleurer et je ne suis pas là, près d’elle pour la consoler. Mais je dois continuer mon chemin. Je poursuis mon chemin sans me retourner. Quelques larmes commencent à tomber sur mes joues.
Elles s'arrêtent lorsque je m'approche du guichet pour le check in.

Episode 1 : Présentation

J'ai décidé de tout quitter en France. J'ai quitté Sarkozy, le racisme, le conservatisme montant, la discrimination à l'embauche, le chômage, les "c'est quoi ton origine", la chasse aux sorcières des immigrés, la satanée baguette de pain chère et la liste est longue.

Je m'appelle Farida, c'est pas très beau mais bon c'est mon prénom. Je suis née à Nantes et j'ai 24 ans. Je suis ce qu'on appelle une beurette ou une française d'origine marocaine. Mais au fond je suis ni marocaine, ni française, je suis moi tout simplement, un mélange des deux.

Il y a quelques mois j'ai décroché mon BTS assistante de direction. J'en avais marre d'accumuler des petits contrats d'intérim, d’envoyer mes CVs par centaines, de répondre aux mêmes questions aux entretiens, de répondre au téléphone, de refaire confiance à des collègues, de prouver que je ne suis pas comme les autres. Marre de tout ça. Alors après avoir mis de côté 1500 euros après un an de dur labeur, j'ai décidé de rentrer vers le Maroc, mon pays d’origine. J'adore le Maroc. J’ai toujours adoré. Je ne sais pas pourquoi mais je l’aime ce pays. Ce n’est pas parce que je suis d'origine marocaine que j’aime le Maroc. Mais ce pays m'attire. J'aime la manière de vivre des marocains. Ils vivent simplement. J'aime les couleurs du pays. Tous les jours, vous avez le droit à une nouvelle peinture. Il y a des couleurs partout qui s'assemblent et qui s'entrechoquent. On dit aussi que là-bas, le niveau de vie est meilleur. L'économie est en bonne santé, il y a beaucoup de travail, et on peut se faire certainement beaucoup d'argent. La preuve en est c'est que beaucoup de français de souche ont décidé de s'installer au Maroc. Certains faisaient la queue à l'ANPE et ils sont désormais cadre ou chef d'entreprise. Alors moi qui suis fille de marocains, qui parle la darija, je me dis pourquoi pas ne pas essayer. Ca devrait marcher pour moi aussi. Peut être que c'est ma chance. Mais je ne connais pas bien le Maroc. Je le connais seulement des vacances, des belles plages ensoleillées de Mohammedia durant l'été et du souk Tarek du quartier populaire de Sidi Bernoussi. Mais comment est le Maroc durant les trois autres saisons ? Je n’en ai aucune idée. J'ai toujours eu l'impression que le Maroc avait seulement une saison : l'été.

Quant j'étais plus jeune, on faisait la route de Nantes à Casablanca en voiture avec ma famille. Je me souviens de la marque de la voiture. C'était une Renault 12 break. Une voiture incroyablement costaud. On dormait mes soeurs et moi dans le coffre qui était immense. On pique niquait dans les aires de repos ou à bord des routes françaises et espagnoles avec ce qu'on avait comme nourriture. J'adorais m'arrêter dans les stations essence où mon père prenait son petit café. Moi je prenais toujours une soupe à la tomate dans les distributeurs. C'était génial de rouler, rouler et encore rouler, de découvrir des paysages, des villages, les fameux taureaux noirs d'Espagne, de prendre le bateau entre Algesiras et Tanger et de voir au loin le drapeau marocain qui apparaissait petit à petit. C'était un sentiment unique. Cette terre qui est le Maroc est la moitié de moi. Mais le problème, c'est qu'à part les plages et les routes, je ne connais rien de mon pays d'origine.

Le hic dans cette histoire, c'est mes parents. Vous auriez du voir leur tête quand je leur ai annoncé que je souhaitais vivre au Maroc. Mon père ne comprenait pas.
Il me disait avec son petit accent marocain:

-"Que vas tu faire dans ce pays, tu ne parles même pas la langue, je suis venu en France pour vous assurer un avenir à tes frère et soeurs et à toi, et toi tu veux partir là bas ! C'est pas comme la France. Là bas, il y a la corruption,la pauvreté, les gens vont te voler, il n'y a pas de liberté de parole, il n'y a pas de soins médicaux. Ce n’est pas comme la France. Quand ma mère que Dieu ait son âme devait être opéré, j'ai du payer le fil pour qu'on puisse l'opérer".


Et moi je lui répondais :

-"Mais papa, ça c'est le Maroc de ton temps, des années 70, des années Hassan II, des années de plomb. Aujourd'hui le Maroc a changé. C'est un vrai chantier. Le nouveau roi fait beaucoup de choses pour améliorer le Maroc et la vie des gens. En plus, tu as tous ces français qui partent au Maroc, pour y travailler ou pour leur retraite… Eux ils ne se plaignent pas. Ils profitent, ils ont la belle vie."

Mais mon papa ne voulait rien entendre. Nos discussions duraient des heures. Chacun essayait de convaincre l’autre. Je devenais le Vergès du Maroc. Mais, malgré tout je le comprends. Je comprends ce qu’il veut dire. La génération de mon père a souffert. Ils ont été une génération sacrifiée. Lui et les autres millions de pères ont été complètement déracinés. Désormais ils ne font plus confiance à leur pays. A leur époque, il y avait cette peur constante des policiers. C’était l’état des policiers. Mon père me raconte sans cesse la même histoire.

L'histoire de ces flics espions habillés en civil et qui passaient leur temps à écouter les conversations des hommes dans les cafés. Les flics aussi buvaient un café, jouaient au carte avec des civils et lisaient leur journal. Mais c’était de véritables magnétophones.

Ensuite, mon père m'expliquait que les hommes qui parlaient trop de politique disparaissaient soudainement du jour au lendemain. Leur famille et leurs amis ne les revoyaient plus. Il suffisait qu’ils aient dit haut et fort ce qu’ils pensaient du gouvernement, ils étaient kidnappés, torturés et assassinés. D’ailleurs, aujourd'hui des familles entières ne savent toujours pas ce que leurs proches sont devenus. Au Maroc, à cette époque, il n'y avait pas beaucoup de travail. Les hommes qui venaient des familles pauvres arrêtaient leurs études très tôt pour chercher du travail et subvenir au besoin de sa famille. Mon père travaillait dans une usine de textile pour un salaire de misère. L’usine fabriquait des bobines de fils. Ensuite, la France a eu besoin de bras pour reconstruire le territoire. L’un des secteurs qui avaient besoin de main d’œuvre c’était le secteur automobile. Après les désastres de la guerre, les français devaient bien à continuer La France s’est donc adressée aux pays colonisés notamment les pays du Maghreb. Mon père et les autres pères ont sauté sur l’occasion. Pour eux la France, c’était un paradis de liberté et d’argent. Pour vivre dans ce paradis, ils ont dû payer un prix élevé : quitter leur famille et partir dans un pays qu'ils ne connaissaient pas. Ils ne parlaient ni la langue, ne connaissaient ni la culture, ni les mœurs et ni les français. Mais ils n'avaient pas le choix. Bien sur que si au Maroc, on leur avait donné un travail payé à sa juste valeur, ils seraient restés. Personne ne veut quitter sa patrie et sa nation si tout va bien.

Il y a une chose qui a marqué mon père à vie c'est que c'est en France qu'il a appris la mort de ses deux parents. Un vrai choc de ne pas être prêt d'eux pour les soigner, pour leur dire au revoir, pour les embrasser une dernière fois. En arrivant en France, mon père a commencé comme ouvrier dans l'usine Renault en région parisienne. Puis, après 20 ans de beaux et loyaux services et surtout après 20 ans de serrage de ceinture, d'économie et de tajine avec patates à volonté, mon père a réalisé son rêve : ouvrir sa propre petite épicerie orientale dans la ville de Nantes. Son petit commerce rien qu'à lui. Il est devenu l’arabe du coin comme on dit. Son rêve d'avoir enfin quelque chose rien qu'à lui s’est réalisé. C’est une affaire qui marche très bien d'ailleurs.

Ma mère elle, m'encourage à partir. Face à la réticence de mon père, elle lui répond que je suis jeune et que j'ai besoin de voir ma vie. C'est normal que ma maman puisse me comprendre. Elle même, elle est la soeur aînée d'une fratrie de neuf enfants. Elle me racontait que quand elle était petite et avant d'aller à l'école, elle faisait le ménage, faisait le pain à la main et préparait le petit déjeuner pour toute la famille. Et quand ma grande mère maternelle se réveillait le matin, elle voyait la table garnie de bonnes choses à manger. Ma mère est très intelligente. Elle aurait pu devenir médecin ou avocate. J'en suis sûre. Elle était très douée à l'école. Elle voulait décrocher son bac. Mais, malheureusement, elle a du tout arrêter quand on lui présenta son futur mari. Elle n'avait que 14 ans. Mais attention, auparavant, une jeune fille de 14 ans était très mure, bien plus mure que les adolescentes de 14 ans d'aujourd'hui. Ma mère se maria donc. Mais j'insiste sur le fait qu'elle aimait et aime toujours mon père mais parfois dans de douces confidences, elle me raconte que ces parents lui ont d'une certaine manière volé son enfance, sans qu'elle ne puisse dire mot. Elle me raconte qu'elle jouait encore à la poupée quand on lui a présenté son futur mari. Elle aussi rêvait d'être libre, de rencontrer l'homme de sa vie, d'avoir le coup de foudre comme dans les films égyptiens des années 50 que j'adorais regarder avec elle. Mais ça ne s'est pas passé comme ça. C’est pour ça, qu’elle m'a toujours encouragé de continuer mes études et de vivre libre et de me marier le plus tard possible. Elle me répétait toujours : -

"qu'est ce que tu vas faire d'un homme, il ne te donnera que des maux de tête, il te donnera sans cesse des ordres : Farida cuisine moi ci, Farida, ramène moi ça, reste célibataire le plus longtemps possible".

Mes deux petites soeurs et mon petit frère, eux sont tristes de voir leur grande sœur partir. Je suis un peu leur maman après tout. C'est moi qui les est élevé pendant que ma mère faisait ces heures de ménage à la maison de retraite du coin. Je les nourrissais, leur changeais leur couche et les emmenais à l'école. Bref, j'étais une vraie maman poule. C'était mon travail à plein temps à côté de mes études. Sauf que je n'étais pas payée. (lol)...Aujourd'hui, j'ai même envie de faire des enfants le plus tard possible car j'ai l'impression d'avoir déjà vécu trois maternités. Je ne les ai pas accouché mais je les ai éduqué. Et je comprends que ce départ leur fasse mal. Mais j'ai besoin de vivre ma vie, de voir autre chose, de respirer un autre air et de prendre mes propres décisions. Je me veux rassurante en disant à ma famille que je pars seulement pour trois mois. Trois mois pour savoir si le Maroc va me convenir ou pas.
Alors pour faire plaisir à toute ma famille, je réserve un billet aller retour à 180 euros via internet. Je rentre dans trois mois pile poil en France. Top chrono. Je tente et si ça ne marche pas, je rentre directement en France. Mes parents sont un peu soulagés. Après tout, le Maroc c'est pas à l’autre bout du monde. C’est à seulement trois heures et 20 minutes et puis après je reviens dans trois mois.

J’avais envie de crier haut et fort « Morocco here I come ».

C'est ainsi quotidiennement que vous allez me suivre dans mes aventures vers la découverte de mon pays d'origine : le Maroc. Ce qui est étrange c'est que j'ai une impression de déjà-vu. Trente cinq après que mon père ait immigré en France. C'est à mon tour d'immigrer au Maroc. C'est fou, l'histoire se reproduit toujours. C'est à mon tour de découvrir une nouvelle vie et de découvrir de nouvelles personnalités. Mais attention, je suis une immigrée à contrat à durée déterminée. Encore un autre contrat. Décidément ma vie n'est qu'une succession de CDD...comme la plupart des français.